Livre Ohime
I-Quinah
II. Kmîs
III. L'exode
Texte et idées par Seby
- Quinah nous est apparue alors que nous étions aux thermes. Elle était d'une très grande beauté et bien différente de nous autres : une peau sombre, des yeux verts, une chevelure de suie bleuté. Ses vêtements ou leur absence témoignaient d'une région plus aride que la nôtre où la pudeur ne semblait pas tenir une grande place.
Sa voix savoureuse nous invita à l'écouter et nous l'écoutâmes, chaque mot glissant à nous comme un précieux nectar. Elle se présenta comme notre guide et nous invita à la suivre, nous mettant en garde contre le cataclysme qui s'apprêtait à frapper notre cité.
Certains d'entre nous s'étaient bien sûr montrés réticents, mais Quinah ne s'adressait pas à eux, suggérant secrètement qu'il n'était pas dans sa nature de forcer la volonté des hommes. La majorité d'entre nous pourtant, aveuglés par une pieuse confiance, l'avait suivie. Il s’agissait de fuir vers le nord au delà des montagnes. Quinah n'avait posé qu'une condition : il ne fallait jamais revenir sur nos pas. Jamais.
II. Kmîs
- Après avoir marché plusieurs jours durant, nous arrivâmes aux pieds de l'imposante barrière faite de roches coupantes. Jamais personne ne s’était rendu si loin du village et nous fûmes tous étonnés devant ce qui se présentait à nous. De loin en loin, nous avions toujours pensé ces montagnes infranchissables. Cependant maintenant que nous en étions si près, nous pouvions apercevoir un chemin sinueux serpenter sur les flancs des collines. Quinah avait marché devant et nous la suivions religieusement. Elle nous accorda une pause, nous invitant à nous remettre en route le lendemain, dès l'aube. Nous nous assîmes.
Lorsque le soleil se coucha, nous regardions notre village avec nostalgie. L'absence de la jeune femme, comme l'absence d'un opiacé, jetait le doute dans nos cœurs subitement libérés de sa présence. Toutefois, ainsi hissés sur les hautes collines, nous fûmes témoins d'une scène terrifiante. Comme cela avait été prédit par Quinah, la terre frissonna soudain et la mer se souleva comme une étoffe de soie. Derrière la vague, une créature d'une taille incroyable avait poussé un hurlement furieux. Les flots déchaînés dont les cimes blanchissaient d'écume avaient pris la direction de notre cité paisible ! Réfugiés sur les hauteurs et impuissants à aider nos semblables, nous assistâmes à l’anéantissement de notre cité thermale... Elle avait été engloutie !
Beaucoup d'entre nous restèrent pétrifiés d’horreur, et peu parvinrent à trouver le sommeil cette nuit là. Aussi lorsque le soleil pointa de nouveau le lendemain, personne n’avait dormit, mais nous fûmes prêts à nous remettre en route comme nous y avait invité notre guide.
III. L'exode
- Longtemps, nous avons marché. D’un pas allant tout d’abord, le cœur encore engourdit par ce que nous avions vécu. Nous allions à l'assaut du refuge tant promis et nous parlions entre nous, devisant souvent sur ce que serait notre nouvelle vie, jusqu'à ce que nos pas se fissent plus lents. Depuis plusieurs semaines déjà, notre paysage s’était transformé. Les jolis chemins bordés de fleurs n’étaient plus que longs escarpements de pierres sombres, tout juste animés par la fuite affolée des mouflons, et le son de nos pas se répercutait de façon lugubre sur les grandes parois rocheuses. Notre moral n'y était plus et notre océan de sel nous manquait. Devant nous pourtant, s'ouvrirent soudain de verdoyantes forêts.
Quinah exigea ensuite que vous voyageâmes de nuit. La tâche s’avéra bien moins pénible que ce à quoi nous nous étions attendus : la température chutait dès le crépuscule et le fait de marcher nous réchauffait. De jour en revanche, nous somnolions aux doux rayons du soleil et nous laissions bercer par les chants des oiseaux. Nous allions avec un nouvel entrain dans l'épaisse forêt aux multiples essences. Avant de nous arrêter pour notre repos, les moins fatigués d'entre nous partaient en quête de nourriture. Elle n'était pas rare, mais nous n'avions rien emporté qui puisse nous permettre de chasser. Nous buvions l’eau retenue dans les feuillages et nous contentions des fruits de la cueillette.
Les semaines qui suivirent furent les plus difficiles de notre long périple. Loin, les forêts. Loin, les plaines. Les hautes herbes étaient à présent brûlées et les rares arbres que nous apercevions étaient desséchés. Nous ne vîmes bientôt plus rien d’autre qu’une terre aride et craquelée. Le soleil, chariot de feu traversant mollement le ciel azuré, frappait sans relâche sur nos dos courbés, nous assommant, tuant même les plus faibles d'entre nous. Cette dernière épreuve fut particulièrement injuste. Beaucoup s’effondraient, à bout de force. Nous avons encore beaucoup de mal à l'admettre aujourd'hui, mais nous ne nous soucions guère de ces malheureux tant nous étions occupés à marcher droit devant nous, arrachant chacun de nos pas du sol.
Nous n'avions plus revu Quinah depuis les montagnes, si bien que lorsqu'elle se trouvât devant nous, nous fûmes aussi surpris que la première fois. Sa beauté ne s'était en rien altérée et nous puisions dans son regard les forces qui nous manquaient. Accrochés à ses lèvres, nous attendions de nous abreuver de ses paroles, mais lorsque leur flot nous baigna enfin, il nous laissa un goût amer. Elle nous montra, d'un geste impérial, les corps sans vie laissés derrière nous et nous blâma pour notre indifférence. Puis, après avoir laissé couler un silence pesant, elle nous exhorta à ne plus jamais tourner le dos à un être en difficulté et ce, quel qu'il soit. Nous acquiesçâmes, incapables de prononcer le moindre mot tant nos lèvres et nos gorges étaient desséchés par la soif.
Autour de nous s'étalait un désert sans fin, sans le moindre signe de vie. Quinah venait de disparaître dans un nuage de sable. Il y eut de longues minutes de flottement avant que nous ne retrouvions la force de nous remettre en mouvement.
Un peu plus loin, nous croisâmes le corps d’un chacal, aussi épuisé par le soleil que nous l'étions. À cet instant, c'est une jeune enfant qui se faufila hors du groupe et qui nous rappela les paroles de Quinah, du haut de sa sagesse innocente. Ses paroles résonnèrent dans le grand désert aride et il fut décidé de venir en aide au chacal. Mais alors que nous nous apprêtions à le hisser sur le dos du plus vaillant d'entre nous, il se débattit, retrouvant subitement ses forces. Lorsqu'il fut au sol, il prit la parole à la surprise générale.
« Sous mon escorte, suivez mes pas, aussi léger qu'un Simoun effleurant les dunes ; ou du Raana, faites-vous l'hôte, jusqu'au royaume des morts. »
Nous le suivîmes, terrassés et rompus, dans sa marche sinueuse et incertaine. Nous nous retournions souvent afin de vérifier que personne ne manquait. Nous soutenions les plus faibles en les portant lorsque cela devenait nécessaire. Nous nous habituâmes à la faim et la soif, bien que toutes deux persistaient, tenaillant les estomacs et nous faisant voir des choses qui n’existaient pas. À cette occasion, nous fûmes l'objet d'une vision utopique.
Droit devant nous, une Oasis s'étalait fièrement. Nous tentâmes de regarder plus loin, au delà du mirage, lorsque Quinah nous apparût de nouveau, immergée de moitié dans les eaux miroitantes d'un lac. Les palmes, aussi luisantes et verdoyantes que son regard, se penchaient au-dessus de son corps afin de la protéger des rayons cruels du soleil. Elle souriait comme une enfant heureuse et quelques ibis au plumage écarlate avançaient lentement à ses côtés, escorte curieuse à la beauté fragile.
C'est ici que s'achevait notre périple. Ici que nous bâtîmes nos temples. Quinah avait désigné l'une de nos jeunes filles et l'avait nommée Reine de l'Oasis.
« Enfant du désert, tu seras leur amie, leur guide, leur souveraine. Entends leur voix, enseigne-leur la sagesse et protège-les. »
Texte et idées par Seby